Pour vous présenter dès maintenant les « Histoires juives », nous vous proposons de lire une nouvelle complète, issue de ce livre.
Lisez ici : La cousine d'Amérique
Extrait de la nouvelle
- Et après, qu'est-ce que vous faisiez d'habitude ?
Sans s'en apercevoir, la femme caressa la cuillère qui traînait toujours sur la table. Le sourire n'avait pas quitté ses lèvres.
- Pour nous, le shabbat démarrait déjà tôt dans l'après-midi. Ou, plus exactement, les préparations. Nous, les enfants, on n'avait qu'une seule tâche : nous laver. Mais pas juste un peu, superficiellement. Tout devait être propre. Profondément propre. Nos mères, pour savoir si on était sage, ont même examiné nos oreilles.
Elle rigola, mais rapidement, elle redevint sérieuse.
- Les enfants plus grands ont lavé les petits. Parce que nos mères étaient occupées à préparer le festin du soir. Mon oncle, le père de ton papa, il a toujours dit qu'il fallait être propre pour accueillir le shabbat dignement.
Jana l'écoutait avidement. Elle aurait voulu qu'elle parle plus vite, pour avoir le temps de tout lui raconter avant que ses parents ne rentrent. Elle savait qu'il ne leur restait pas beaucoup de temps.
- Oui, reprit Anna, c'était le mot qu'il a utilisé. Dignement. C'était si important pour lui. Il est resté digne jusqu'à la fin. Les nazis ont pu lui ôter sa vie - mais pas sa dignité.
Une larme apparut au coin de son œil gauche. Une seule. Résolument, elle l'essuya, et sa main laissa un petit tracé de farine sur sa joue.
- Toutefois... Sa voix était plus basse qu'auparavant. Toutefois, répéta-t-elle, aujourd'hui, je sais que la préparation de notre corps était surtout un temps de méditation. Une préparation spirituelle. Une sorte de recueillement. De réflexion, aussi, pendant laquelle la semaine passée se déroulait devant nos yeux.
D'un air étonné, elle regarda la tache de pâte sur la table. Puis, elle haussa les épaules et s'assit sur une des chaises. De nouveau, un sourire embellit son visage.
- Ce qui ne nous empêchait pas de nous amuser tout l'après-midi. Parce qu'on n'était jamais seuls. C'était ça le plus beau. Tous les enfants de la famille étaient ensemble. Tous les frères et sœurs et cousins et cousines... En général, on se rassemblait tous chez la
mame de ton papa.
Fascinée, la bouche légèrement ouverte, Jana avait suivi le récit de sa cousine. Lorsque sa grand-mère, la fameuse
mame, fut évoquée, elle s'aperçut qu'elle n'avait pas la moindre idée de son apparence. Elle avait toujours envié ses copines chrétiennes qui possédaient d'anciennes photos de leurs familles, même des clichés pris pendant la guerre. Mais aux juifs, on avait tout volé. Jusqu'aux souvenirs.
- Elle était comment, ma grand-mère ?