Comment faire lorsqu'on est un commerçant qui, pendant la majeure partie de sa carrière, a refusé de servir les juifs ? Comment faire lorsqu'on est un contrôleur qui, pendant la majeure partie de sa carrière, a scruté les passagers pour qu'aucun juif ne s'introduise dans son train ? Comment faire lorsqu'on est un voisin qui, pendant la majeure partie de sa vie, a surveillé le voisinage pour que personne ne cache un juif ?
Comment faire lorsqu'on est enseignant depuis trente ans, et que la majeure partie de sa carrière s'est déroulée dans l'atmosphère nazie ? On n'est pas coupable, oh non - on n'a rien fait de mal. Juste son devoir.
Vingt ans plus tard, on accomplit toujours son devoir. On ne doit plus haïr le juif ? Alors on l'aime. On ne doit plus l'exclure ? Alors on l'inclut, si nécessaire de force, contre son gré.
Tout pour ne pas avoir l'air d'un nazi, aujourd'hui, vingt ans plus tard.
Et les juifs ? Ceux qui ont survécu et ceux qui sont nés « après » ?
D'abord, ils parlent d'argent. De la
Wiedergutmachung, de l'indemnisation que l'ancien ennemi est condamné à leur payer. Et ils font tout pour en profiter au maximum, peu importent les moyens - et la légalité de ces moyens. Qui pourrait ne pas les comprendre ? Après tout ce qu'ils ont souffert ?
Plus tard, il y a les jeunes. Ils sont nés « après », et ils veulent vivre au présent. Le passé ne les intéresse pas. Ce qu'ils recherchent, c'est la normalité. Ne plus avoir peur, ne plus être traité comme un« juif ». Ni comme un sale juif, comme pendant les années de guerre. Ni comme un bon juif. Comme maintenant.
Jana fait partie de ceux et celles qui sont nés « après ». À la maternelle, elle apprend qu'elle n'est pas comme les autres. Parce qu'elle est juive. Pas une sale juive, mais une bonne juive. Celle qu'on doit aimer, sinon on risque d'être qualifié de nazi.
À l'école, elle ne fait pas « partie ». Elle en a vite assez d'être aimée parce qu'elle est juive. Elle veut être aimée pour ce qu'elle est, elle, Jana, avec tous ses défauts - ces défauts que tout le monde feint d'ignorer, car dans l'Allemagne d'après, une juive ne peut pas être fautive. Celui qui cherche des fautes dans les actes d'une juive est forcément... nazi.
Mais il lui reste la communauté juive et son centre de vacances à Sobernheim, où elle peut être juive parmi les juifs. Où elle n'est pas différente. Où elle « fait partie ».
Pour « faire partie », toutefois, il faut plus que partager la même religion. Jana ne correspond pas au profil des amies de Pommine, la cheffe, la meneuse, celle qui a le père le plus influent. Laquelle, faute d'être la plus belle, est la plus riche, la plus sûre d'elle, la fille qui a tous les droits. La plus puissante. Jana ne lui témoigne pas le respect qu'elle attend. Pire - elle ose avoir ses propres opinions. Pour Pommine, Jana est l'adversaire prête à détruire ce qui lui est le plus cher : son pouvoir.
Mais elle sait se venger. Ce n'est pas pour rien qu'elle a les meilleures relations...
D'une certaine manière, Pommine rend service à Jana. Grâce à celle qui devient rapidement son ennemie, elle comprend vite que ce monde-là n'est pas le sien non plus.
Elle comprend qu'elle n'a pas de monde à elle.